Un prédateur amateur de Méconèmes

Isodontia mexicana (Saussure 1867)

   Pour le naturaliste, la curiosité n’est pas un vilain défaut et le hasard fait parfois bien les choses. Ces banalités pour introduire une observation qui s’avère ne pas être banale. Pourtant les circonstances (le hasard) du démontage d’un tube d’acier, support d’un filet de badminton, installé au jardin depuis début juillet a capté mon attention (la curiosité). Les enfants m’ont dit qu’une grosse bête noire était rentrée dans le petit trou de 5 mm traversé par la ficelle de maintien du piquet. En séparant ce morceau de tube, un petit orthoptère vert clair en est tombé. Le tube est obstrué et le bouchon résistant. Après plusieurs essais peu productifs avec divers outils improvisés, une combinaison de  » taper/tirer/pousser » m’a permis de sortir le tout.

   Le nid a une longueur d’environ 10-12 cm et est composé de couches alternées de débris végétaux et d’orthoptères. Les végétaux sont principalement des petits morceaux de tiges de graminées mais aussi deux  fleurs de trèfle. Quelques cadavres sont de couleur brune et semblent vraiment dégradés mais la majorité sont simplement anesthésiés et très bien conservés. Dans ce garde-manger d’un vert tendre appétissant, je dénombre une quarantaine de proies.

Isodontia01

   La propriétaire de ce trésor, quelque peu traumatisée par la violation de son domicile, Isodontia mexicana, se retrouve au centre de la scène de crime. Cet Hyménoptère Sphecidae est arrivé en Europe dans les années 1960 et s’est bien installé depuis. Sa spécialité est la capture d’orthoptères pour nourrir ses larves. Ses nids sont construits dans des cavités de divers types de supports : mur, bois et dans le cas présent tube d’acier. L’intérêt de cette note n’est pas dans la description de ce cycle bien connu chez les Sphegiens mais dans la qualité des proies découvertes : des méconèmes du genre « orthoptères  introuvables ». Il est temps je crois d’introduire un peu de rigueur dans ce récit (mais je ne promets rien).

   Le 4 août 2012, à Olonne-sur-Mer dans un jardin situé dans une zone pavillonnaire mais qui se veut accueillant pour la biodiversité : potager et verger bio, agrément avec entretien minimum. À noter l’absence de grands feuillus à moins de 50 m. Les fruitiers, pommiers, poiriers et pruniers sont de taille moyenne.

   Les proies identifiées sont Meconema meridionale (Méconème fragile) et Cyrtaspis scutata (Méconème scutigère ou Méconème à bouclier) dans la proportion respective de 3 pour 1 (ci-dessous, respectivement à gauche et à droite).

Isodontia02

    Bien que considérée comme plus commune que les deux espèces précédentes, Meconema thalassinum (Méconème tambourinaire) a été recherchée mais non trouvée dans ce nid.

   Être persévérant, c’est une qualité du naturaliste, comme chercher, comprendre, espérer ou simplement être curieux ! Un filet de badminton a besoin de deux piquets pour tenir… donc démontage du deuxième élément et découverte d’un second bouchon végétal. Ce travail effectué fin août m’a permis de trouver un nouveau nid beaucoup plus évolué que le premier puisqu’il ne contenait que les restes du garde-manger (une pupe, probable résultat du repas, et des cadavres d’orthoptères présentant des ailes développées). La présence du Méconème tambourinaire recherché est confirmée (*). Ce deuxième nid est-il l’œuvre du même individu ? Encore quelques questions qui trouveront sans doute réponse si la curiosité s’en mêle.

Isodontia03

   Entre temps, armé d’un parapluie et du bâton associé, un battage systématique des arbres et arbustes du jardin m’a permis de trouver un Meconema meridionale dans un pommier et un autre dans une Viorne aubier (Boule de neige). Voilà un bien maigre résultat comparé au tableau de chasse de notre guêpe.

   En consultant la base de données des Naturalistes Vendéens, la rareté de ces espèces de méconème semble évidente et de fait donne un petit éclat particulier à cette observation. À décharge pour les modestes observateurs que nous sommes, malgré une présence urbaine connue, la petite taille et les mœurs nocturnes et arboricoles de ces espèces font qu’elles passent très facilement inaperçues. Il conviendrait  donc de parler plutôt de rareté des données.

   Il reste à résoudre ce petit problème susceptible de contredire le constat évoqué ci-dessus. Si une guêpe fouisseuse de moins de 2 cm est capable de collecter une cinquantaine d’orthoptères arboricoles en quelques semaines. Sachant que le naturaliste moyen mesure 1,74 m (87 x la guêpe) et que cette note augmentera inévitablement l’indice de curiosité  de 30 % chez  la moitié des entomologistes vendéens : combien de données de méconèmes figureront dans la base de données  fin 2015 (publication de l’Atlas Entomologique Régional en 2016) ?

Isodontia04

*Un grand merci à Michel Clémot qui, outre son expertise et identification, a décuplé ma curiosité et m’a permis de mieux profiter du hasard.

André Barzic